C’est par ces mots, d’une crudité toute militaire, que tout à commencé. Nous sommes à fin octobre 1849. Depuis un mois, le choléra exerce ses ravages parmi les quelque 25 000 habitants d’Oran et commence à gagner sa province. Il n’a pas plu depuis avril et, après les récoltes, ce sont maintenant les hommes qui périssent à cause de cette sécheresse. Et rien, malgré tous les efforts déployés n’a encore pu enrayer le fléau. Seul le retour de la pluie pourrait stopper une telle épidémie, estiment les médecins. Hélas ! Pas le moindre nuage à l’horizon !
C’est alors qu’en conclusion d’une énième réunion impuissante des autorités civiles, militaires, médicales et religieuses, le Général Pélissier, commandant la place (et futur maréchal) interpella l’abbé Suchet, Vicaire général d’Oran :
« Mais qu’est-ce que vous faites, Monsieur l’Abbé, vous dormez ? Vous ne savez donc plus votre métier, Le Choléra ? Nous n’y pouvons rien : ni vous, ni moi, ni personne ne pouvons l’arrêter. Je ne suis pas curé et, pourtant, c’est moi, Pélissier, qui vous le dis : faites des processions ! »
Et l’officier jeta alors, comme un cri de désespoir – ou, plutôt, de suprême espoir – ces mots incantatoires.
« Foutez-moi une Vierge là-haut, sur la montagne : elle se chargera de jeter le choléra à la mer ! »
Une telle injonction ne pouvait rester sans écho dans la ville martyre. Dès le 1er novembre, est organisée une procession vers la montagne de Murdjadjo. Derrière la statue de Notre Dame du Salut portée par des marins et suivie du Vicaire Général et du Général Pélissier entouré de son état major, des milliers d’Oranais parcourent les quartiers de la ville avant de parvenir au sommet, devant le fort construit au XVIIIe siècle sur ordre du gouverneur espagnol, le marquis de Santa Cruz. La foule s’agenouille et prie. Mais le ciel demeure obstinément bleu et silencieux. Dans la chaleur suffocante, on redescend vers la ville, abattu, désespéré….
Cependant, au bout de quelques minutes de cheminement sur le sentier étroit et rocailleux, des nuages gris se forment en mer et s’avancent très vite vers la côte. Miracle ! La foule retombe à genoux. Et la pluie tombe ! Ses gouttes se mêlent aux larmes de joie des assistants.
Quelques jours plus tard, l’air et la terre étant purifiés, l’épidémie était enrayée et Oran sauvée de la prolongation d’un désastre qui avait déjà fait près de 5 000 morts.